Un mois après leur éclosion, ses ex-poussins étaient devenus des petits poulets parfaitement autonomes et bien intégrés dans le poulailler. Très rapidement, Bip-Bip s’est mis en tête de remettre le couver(t). Nous avions un problème de taille : plus de coq, donc plus d’oeufs fécondés. De plus, vouloir dissuader une poule de couver est une mission trop chronophage, quasi impossible. Alors que faire ? C’est là qu’intervient l’OVA (oeuf venu d’ailleurs): comme notre cane Marrante pondait mais n’était pas décidée à couver, nous avons confié quatre de ses oeufs à Bip-Bip. Advienne que pourra ! Et la voilà repartie pour un tour avec la même abnégation, la même assiduité.
Le vingt-cinq juillet, alors que nous regardions si Bip-Bip allait bien, de très discrets pui-pui-puip nous indiquaient que quelqu’un venait de percer la coquille. Une tête allongée, un petit bec aplati, deux petits yeux noirs et brillants, une boule de duvet jaune pétant, deux longues pattes palmées orange : c’était Sunny ! Sunny boy ou Sunny girl ? aucun indice pour l’instant. Au bout de quarante-huit heures, comme il ne se passait plus rien, Bip-Bip a laissé les oeufs restants et a emmené son unique rejeton à l’extérieur.
Nous avons senti notre brave poule quelque peu dubitative. « C’est moi qui ai fait ça ? Mais il ne ressemble à rien ! Il faut que j’arrête de couver ! » avait-elle l’air de penser. Nos craintes d’un rejet se sont vite estompées ; elle s’est montrée aussi protectrice et attentionnée que pour ses poussins du printemps. Son éducation avait pourtant certaines limites : quand elle faisait gratte-gratte, Sunny préférait faire plouf-plouf dans son micro-bassin. Elle s’est fait une raison et a continué à gratter pour lui donner vers et insectes. Lors de la distrution de petites limaces et petits escargots, c’est Bip-Bip qui les prenait pour les donner à Sunny. Plus tard, une fois la confiance instaurée, Sunny venait les prendre lui-même dans la main de Pierre-André.
Âgé d’un mois, c’est, hésitant, trébuchant et collé à Bip-Bip, que notre caneton a fait ses premiers pas dans le grand poulailler. La brave poulette gonflait ses plumes dès que ses congénères faisaient mine de s’approcher. La curiosité de certains, l’agressivité de Poulet, le coq blanc et l’intolérance flagrante de Poulette, la doyenne, nous ont obligés à être présents lors des sorties quotidiennes. Au fil des jours, Sunny a pris de l’assurance, osant même s’éloigner de Bip-Bip pour attraper des insectes au vol et en débusquer dans l’herbe.
Le train-train quotidien commençait à être bien rôdé : dans son parc le matin et, l’après-midi, à l’extérieur avec Bip-Bip et Pierre-André en ange gardien. Mais voilà, arrivât un soir où Bip-Bip n’est plus retournée à la poussinière, le laissant seul pour la première fois. Les appels désespérés de Sunny l’ont fait revenir plusieurs soirs de suite jusqu’au jour où elle n’a plus cédé, estimant qu’il était temps de couper le cordon. Sunny s’est fait une raison pour la nuit, la retrouvant pour explorer le poulailler dans la journée.
Comme un orage arrivant sans crier gare dans un ciel ensoleillé, Sunny a brusquement présenté des signes alarmants : léthargie, incapacité de lever la tête et de se mettre sur ses pattes, incapacité de boire et de manger. Nous venions de perdre, quelques jours plus tôt, une poulette avec des symptômes identiques en seulement 2 jours. C’est dire notre inquiétude ! Notre peine était à la mesure de toute la joie que nous avions eue avec notre petit rayon de soleil pendant les six semaines écoulées.
Pour mon fils, soigneur attitré des gallinacées et des palmipèdes de la maison, ce fût un choc. En donnant les oeufs de cane à couver à Bip-Bip, il était à l’origine de sa naissance et il se sentait responsable vis-à-vis de ce petit être vivant, au demeurant si attachant. Son appartement s’est transformé en Unité de Soins Intensifs : le poêle a été allumé pour que Sunny se réchauffe, une litière confortable a été installée dans un grand bac. Pierre-André a veillé son caneton toute la nuit, lui donnant des petits bouts de banane trempés dans de l’eau pour l’hydrater et pour lui apporter un peu d’énergie. De l’ail pressé et du vinaigre de cidre dans l’eau en guise de médicaments ont permis à Sunny de passer la nuit. L’espoir était permis !
Au bout de quelques jours, bien que chancelant, il a été capable de se remettre debout, de se nourrir et de boire seul. Il a recommencé à se toiletter, encore un signe d’amélioration.
Sunny a deux mois aujourd’hui ! Ses vocalises et son comportement nous font penser que Sunny est une fille ! Elle est en forme : elle broute l’herbe de son petit parc, chasse et s’intéresse à ce qui l’entoure. Elle sort de son abri dès qu’elle entend la voix de Pierre-André ; elle est indifférente lorsque Jean-Pierre ou moi sommes dans les parages ; elle est sur le qui-vive lorsqu’une personne étrangère s’approche. Pour l’instant, elle n’est que partiellement emplumée, ce qui signifie qu’elle a encore besoin de chaleur extérieure. Impossible de la remettre au poulailler où elle n’est pas la bienvenue et impossible de la livrer aux canards adultes (ils ont, eux, un plumage imperméable et ils sont particulièrement heureux sous la pluie). Alors…, elle dort dans la maison ! La présence de Pierre-André la rassure ; elle l’appelle quand elle ne le voit pas et sort de son espace aménagé pour partir à sa recherche. Une belle complicité s’est établie entre eux : le matin, elle le suit pour aller au parc et le soir, elle en fait autant pour rentrer à la maison.
Une chose est sûre, c’est que cette canette grandira et qu’elle ne pourra pas rester avec son humain de référence, dans une maison d’humains ! Pour l’instant, nous ne savons pas comment elle s’intégrera dans le groupe des canards adultes. Jour après jour et palme après palme, elle avancera ! Nous l’avons vue se battre pour rester en vie, nous l’avons vue s’adapter à des milieux pas forcément adaptés, alors on va y croire !
A ceux qui penseront que cette histoire n’a rien à faire sur notre site de jardinage, je les invite à élargir leur point de vue. Outre tout ce qu’ils nous apportent et les services qu’ils nous rendent, c’est les animaux qui animent le jardin et lui donne un supplément d’âme !
Pierrette